2 avril 2020
Il y a exactement 6 ans ce mois-ci, j’ai été hospitalisé après avoir fait une tentative de suicide. J’avais seize ans. C’est peut-être bizarre de célébrer un jour comme celui-là, mais le fait d’y repenser me rappelle à quel point cette période de ma vie m’a apporté. Le mois que j’ai passé à l’hôpital a été l’un des plus difficiles de ma vie. J’ai dû me battre pour vaincre mes démons et apprendre à gérer mes différents troubles mentaux.
Avec le recul, j’arrive à apprécier la résilience dont j’ai dû faire preuve pour traverser cette période, et je suis fier du chemin que j’ai parcouru. Je repense à mon hospitalisation en ce moment et je ne peux pas m’empêcher de me demander comment la COVID-19 aurait pu influencer mon histoire. La plupart de ce qui contribue au bien-être des personnes vivant des problèmes de santé mentale a été perturbé par la COVID-19 : la routine de vie, les rendez-vous chez le psy ou chez le thérapeute et le soutien des proches. Je m’inquiète pour les personnes qui vivent avec une maladie mentale, surtout pour celles qui essaient pour la première fois de s’orienter dans le système de santé en ce moment. Je sais combien c’est difficile de le faire, même quand tout va pour le mieux. J’espère sincèrement que ces personnes recevront l’aide dont elles ont tant besoin.
J’ai vu la COVID-19 évoluer et je me suis moi-même senti dépassé par les événements. Je me suis demandé pourquoi on n’a pas pris de mesures plus proactives pour s’attaquer à l’enjeu de la santé mentale des jeunes quand les circonstances étaient plus favorables. Avant même que cette pandémie mondiale n’éclate, notre système de santé était déjà lourdement surchargé, laissant beaucoup trop de jeunes languir dans l’attente d’un soutien adéquat en santé mentale. Ces dernières semaines n’ont fait qu’amplifier les lacunes de notre système de santé mentale, en plus d’entraîner de nouveaux facteurs de stress psychologique qui auront inévitablement des conséquences sur les années à venir. Je pense aux personnes en cure de désintoxication qui n’ont pas accès à des groupes de soutien en personne et au fardeau financier des jeunes qui doivent maintenant composer avec les frais de scolarité, le loyer et des opportunités d’emploi extrêmement limitées. Je m’inquiète pour les personnes qui vivent des émotions légitimes de peur, d’isolement et de panique et qui n’ont pas accès à l’aide professionnelle et sociale que j’ai reçue pendant la période la plus sombre de ma vie. Puisque nous traversons cette période ensemble, j’invite tout le monde à se souvenir que la COVID-19 n’est pas la seule crise de santé publique dont il faut s’inquiéter. Le suicide reste la première cause de décès chez les jeunes au Canada. Notre pays n’a pas su offrir à la jeunesse l’éducation et les ressources en santé mentale dont elle a besoin pour composer avec la situation et pour se soigner. Nombreuses sont les personnes pour qui la santé mentale et physique est menacée. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour leur venir en aide dans cette nouvelle réalité.
Je me réjouis des nombreuses discussions que j’ai entendues à propos du rôle que tout le monde a à jouer pour éviter de surcharger notre système de santé et ralentir la propagation du virus. Les gens sont conscients que nous avons l’obligation éthique de protéger les personnes plus vulnérables, c’est évident. Partout au pays, les institutions s’efforcent de trouver des solutions non seulement à la crise de santé physique à laquelle nous faisons face, mais aussi à la crise de santé mentale. Jeunesse, J’écoute a observé une augmentation de 300 % de l’utilisation de son service de soutien par texto, ce qui a poussé le gouvernement à offrir un financement d’urgence de 7,5 millions de dollars à ce service. J’applaudis totalement ce geste, mais nous avons besoin de plus que du financement d’urgence pour les services essentiels de santé mentale. Même si cela permettra à des milliers de jeunes d’obtenir de l’aide pendant le confinement, ce n’est pas suffisant. Nous devrons déployer une quantité de ressources sans précédent pour aider les personnes qui vivent des difficultés psychologiques et veiller à ce qu’elles obtiennent le soutien dont elles ont besoin pour aller mieux. Je me demande comment nos systèmes qui n’arrivaient déjà pas à répondre à leurs besoins feront pour s’ajuster à la forte augmentation de demande d’aide chez les jeunes. Nous devons rebondir tout de suite afin de soutenir la santé mentale des jeunes, comme nous aurions dû le faire avant la pandémie. Déjà, le suicide était chaque année la cause de 25 % des décès de la jeunesse canadienne.
Quand on réfléchit aux répercussions que cette crise entraîne, n’oublions pas les personnes en grande difficulté ou en crise, ces personnes dont la routine de santé mentale a été profondément chamboulée par la pandémie. Pensons à nos travailleur.euse.s du domaine de la santé au front, qui ne sont peut-être pas en mesure d’offrir un soutien psychologique approprié à leurs patient.e.s ou de prendre soin de leur propre santé mentale. Nous avons par-dessus tout besoin d’un système de santé capable de prévenir les crises, pas seulement d’y faire face. Il est possible d’améliorer ce système, mais nous devons investir dans la formation, la recherche et des ressources solides afin de mieux comprendre la santé mentale et ce qui pourrait la menacer dans le futur. Il nous faut unir nos efforts et réorganiser notre infrastructure en santé mentale de façon à ce qu’elle ait la force de s’attaquer à la crise réelle de la santé mentale de la jeunesse canadienne ET de résister à une tempête impensable.
C'est dans cet esprit que je partage mon histoire avec toi. Parce que même si c’était la période la plus difficile que j’ai vécue, j’ai surmonté ce que je croyais impossible à surmonter. Mes ami.e.s, ma famille et mes proches ont fait équipe pour me soutenir pendant que je recouvrais la santé. Cette expérience me rappelle à quel point nous sommes résilient.e.s face aux défis collectifs.
On a toutes et tous un rôle à jouer. Actuellement, les décisionnaires et les politicien.ne.s doivent s’assurer que le financement est suffisant pour nous permettre de prendre soin de notre santé mentale et de notre bien-être, surtout pour les personnes aux prises avec de graves maladies mentales. En tant qu’individus, nous devons prendre soin les uns des autres, nous renseigner sur les signes avant-coureurs de grande difficulté ou de crise, prendre des nouvelles et aider les personnes qui nous entourent à obtenir l’aide qu’elles méritent et dont elles ont besoin. Cette ère devrait nous servir de leçon et nous apprendre pourquoi il faut prioriser la santé mentale, se préparer en cas de crise et investir dans les ressources en santé mentale. Les mesures que nous prenons maintenant sauveront des vies aujourd’hui et demain.